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Urgence humanitaire en Haïti : Angeline Annesteus, Directrice de ActionAid Haïti, fait le point

Angeline Annesteus, directrice de ActionAid Haiti

Invitée à participer en ligne à la réunion de la Délégation à la Commission Parlementaire CARIFORUM-UE le 30 mai 2023, Angeline Annesteus, directrice d’ActionAid Haïti, peint un tableau poignant sur la  crise humanitaire que traverse son pays. En voici un extrait.

 

Depuis plusieurs années, la population haïtienne traverse une crise socio-économique, politique et sécuritaire grave et complexe. L'instabilité politique chronique, amplifiée par la crise sécuritaire provoque l'effondrement de tous les pouvoirs publics et contribue à l'absence de l’Etat de droit. Cette crise place la population dans une situation d'insécurité généralisée, marquée par des enlèvements, des meurtres et des violences sexuelles basées sur le genre, provoquant des niveaux sans précédent d'insécurité alimentaire.  La crise actuelle,  révèlent les inégalités préexistantes, touchant majoritairement les femmes et les filles quant à l’accès aux services de base et à l’alimentation.

Une crise socio-économique, politique et sécuritaire exacerbée par de graves catastrophes

La violence des gangs perturbent considérablement les chaînes d'approvisionnement alimentaire en Haïti. Cette détérioration de l'environnement, plonge le pays en 2022 dans sa quatrième année consécutive de récession économique. Le ralentissement économique, associé à un taux d'inflation de 48 %, a de graves conséquences sur la vie de la population en raison de l'augmentation des prix des denrées alimentaires et des services. 4,9 millions de personnes (près d'un haïtien sur deux) sont confrontées à une situation d’insécurité alimentaire aiguë.

ՙՙLe ralentissement économique, associé à un taux d'inflation de 48 %, a de graves conséquences sur la vie de la population en raison de l'augmentation des prix des denrées alimentaires et des services.

Comprendre la dimension de cette crise, nécessite la considération des causes profondes. S'il ne fait aucun doute que la violence des gangs perturbe les chaînes d'approvisionnement alimentaire, la crise alimentaire haïtienne est la résultante de crises politiques et catastrophes naturelles récurrentes et de politiques commerciales libérales qui sapent la production agricole. Le pays était autosuffisant sur le plan alimentaire au milieu des années 1980 jusqu'à ce que le gouvernement de l’époque ait accepté de libéraliser le commerce sous la pression des États-Unis et des organisations internationales, ce qui par conséquent a réduit les droits d'importation de 50 à 3 %, alors que la moyenne régionale était de 38%. Ce réajustement structurel et le manque d'investissement dans le secteur agricole ont conduit à des performances médiocres et à une forte dépendance du pays aux importations de denrées alimentaires. Haïti importe actuellement plus de 80 % de sa nourriture, un régime qui soumet le pays à la volatilité des prix sur les marchés internationaux et à la merci des changements géopolitiques.

Par ailleurs, les événements liés au climat, tels que les ouragans, sont aussi à considérer dans cette analyse. L'ouragan Matthew, de catégorie 4, qui a frappé le sud d'Haïti en 2016 a causé 2,8 milliards de dollars américains de pertes et de dommages. La même région a également été touchée par l'ouragan Grace en 2021, laquelle a provoqué la destruction des récoltes et des moyens de subsistance, et est sous la menace de la nouvelle saison cyclonique commençant le 1er juin 2023.

La nécessité de réponses humanitaires à la hauteur d’une crise multi-dimensionnelle

Malgré la gravité de la crise et l’urgence d’agir, le financement de la communauté internationale en faveur d'Haïti tarde à venir, en dépit des nombreux appels lancés par OCHA ces trois dernières années. Seulement 15% des 719 millions de dollars du plan de de réponse humanitaire 2023 ont été récoltés à ce jour. Nous sommes loin de l’objectif fixé.

Pourtant, malgré ce manque critique de financement, la société civile haïtienne, y compris les organisations de femmes et de jeunes, mène une forte mobilisation pour atténuer et répondre à la crise. ActionAid Haïti et ses partenaires, comme d'autres acteurs internationaux de l'humanitaire et du développement, sont également sur le terrain, travaillant dans les communautés les plus marginalisées avec les autorités locales pour aider à construire un système alimentaire durable face au manque de volonté politique à la fois interne et externe.

ՙՙSeulement 15% des 719 millions de dollars du plan de de réponse humanitaire 2023 ont été récoltés à ce jour. Nous sommes loin de l’objectif fixé.

Recommandations de ActionAid Haïti

Pour des réponses adéquates à la crise haïtienne, nous souhaitons formuler les recommandations suivantes aux gouvernements et à la communauté internationale, y compris les bailleurs de fonds qui soutiennent les institutions et la société civile haïtiennes. Premièrement, nous demandons à la communauté internationale de :

  • fournir un soutien durable pour le rétablissement de l’Etat de droit tout en garantissant la gouvernance. La sécurité est une condition préalable pour permettre à la population haïtienne d’exercer ses droits : accès à l'éducation, à la santé et à la souveraineté alimentaire entres autres.
  • veiller à ce que l'aide internationale destinée à répondre à la crise soutienne le développement du secteur agricole en s'assurant qu’elle n’affaiblit pas l'agriculture locale. 60 % des Haïtiens des zones rurales dépendent de ce secteur pour des emplois et des revenus. Il est donc essentiel que l'aide étrangère soutienne le marché local et fournisse un accompagnement technique et du financement capable de garantir sa pérennité. .
  • donner la priorité à la production nationale dans le secteur agricole en investissant dans des systèmes d'irrigation adaptés et d'autres infrastructures et formes d’accompagnement qui soutiennent le développement du secteur agricole et les  exploitants à petite échelle, en particulier les femmes et les groupes de femmes. Ce soutien devrait faire partie de politiques qui réduisent la vulnérabilité d'Haïti et renforcent son autosuffisance.
  • fournir les ressources nécessaires pour couvrir le plan de réponse humanitaire, jusqu’ici sous-financé.
  • veiller à ce que les organisations haïtiennes jouent un rôle de premier plan dans la mise en œuvre de la réponse humanitaire. Elles sont les mieux placées pour atteindre les plus vulnérables, grâce à leur ancrage dans les communautés et leur  rapprochement aux acteurs locaux elles sont capables d'atteindre le "dernier kilomètre".
  • mettre à la disposition des communautés frappées par la crise climatique directement, un fonds de pertes et dommages. Haïti pourra en bénéficier en raison de sa vulnérabilité face aux  catastrophes naturelles. L'Union Européenne a le pouvoir d’influencer pour des décisions favorables à ces requêtes, grâce à sa participation aux négociations de la CCNUCC et au Comité de transition.

Enfin, la communauté internationale devrait :

  • donner la priorité à l'annulation des dettes externes du pays pour un assainissement financier . Selon le Fonds Monétaire International, Haïti présente un risque élevé de surendettement et consacre 10 % de ses recettes publiques au paiement de la dette externe. Il est donc important que la question de la dette soit abordée afin de faciliter la transition du pays vers une économie saine pour garantir des services de base à sa population.

Nous devons donc agir avec diligence pour protéger des vies et sauver leurs moyens de subsistance. Nous sommes convaincus que l'UE a le pouvoir d’aider Haïti à faire face à ces multiples crises, nous comptons sur sa solidarité.